Le titre d’un concours m’a fait de l’œil : « Proies et prédateurs ». Après l’écriture de Dis\sonance, une évidence : développer autour du personnage d’Harold en partant des correspondances avec Suzanne. Attention : spoiler !
Si vous n’avez pas lu le livre, ne déroulez pas, cela dilvugâcherait des éléments importants de l’histoire.
DERRIERE LE MASQUE
Ma tendre fleur,
Je te fais parvenir ce billet par un homme de confiance. Je t’en conjure, ne confie tes lettres qu’à cette personne. Je me sentirais coupable de jeter l’opprobre sur ta réputation par simple maladresse. Ma main est fébrile et mon cœur s’anime chaque fois que ma plume effleure le vélin.
J’imagine ton regard de jade parcourir mes lignes avec assiduité, avec cette même passion qui m’anime depuis que nos routes se sont croisées. Pourquoi nous imposer pareil destin ?
Te savoir endormie chaque soir auprès d’un autre me ronge de l’intérieur. Que je maudis ce jour où nos regards se sont mêlés ! Et comme je le chéris davantage encore ! Je croyais l’incandescence de mon cœur éteinte à jamais. Finalement, de frêles braises devaient subsister sous le fiel des fêlures et tu as su faire jaillir, par ta fraîcheur et ta formidable joie de vivre, mon feu intérieur. Notre baiser fugace au détour d’un couloir enflamme toujours ma bouche chaque fois que les formes de tes lèvres viennent échauffer la ferveur de mon amour effréné. Je ferai parvenir dans les jours à venir un courrier officiel afin d’inviter à déjeuner la bienfaitrice des orphelins, ainsi nous aurons le loisir de jouir de notre présence respective lors d’un repas dans un kaiseki ryori qui je l’espère, te séduira autant qu’il me ravit d’avance les papilles. Je désire secrètement pouvoir voler la douceur de tes lèvres avant de nous séparer à nouveau… Pour des jours alanguis par le vide de ton absence. Je n’en demanderai pas davantage, je t’ai promis la patience. Je sais comme le manque de tact de ton mari rend difficile de faire confiance pour te laisser guider vers les plaisirs charnels. Ta seule présence m’offre tout ce dont je peux rêver, et même au-delà ! Je revis grâce à toi, je respire de te savoir quelque part à m’attendre, la vie se teinte de couleurs éclatantes de me savoir aimer de ta sublime personne.
Ton dévoué Harold.
***
Cher Harold,
Vos mots sont une mignardise dont j’ai savouré chaque bouchée ! Comme le temps est cruel de me séparer ainsi de vous, de m’avoir offert un mari si rude et trop absent. Si nous avions pu nous rencontrer plus tôt ! Mais nos chemins se seraient-ils croisés ? Après tout, c’est grâce à mon époux que j’ai pu trouver goût à la vie en croisant votre route lors de cette réception chez les Tokumi. Quel instant magique ! Mon corps s’est envolé et mon esprit ne touche plus terre depuis notre baiser à la délicatesse insoupçonnée. Malgré le soleil qui dépose sur ma main une tiédeur bienfaitrice, je ne ressens qu’un vent glacial ternir le ciel et refroidir mon cœur.
Je n’ose imaginer mon mari rentrer de voyage et demander à partager ma couche. Je tremble en écrivant ces mots, mon cœur saigne et pleure. J’aurai l’intime conviction de vous trahir, je suis terrorisée à l’idée de m’effondrer dans le lit nuptial. Pourtant, si je veux nous offrir une chance d’exister, je me dois de tenir mon statut.
Gustave n’est pas homme à partager et je ne veux en aucun cas qu’il puisse vous atteindre et vous faire le moindre mal. Je vous remercie encore de la patience offerte, je suis confuse de vouvoyer encore l’homme qui me confie ainsi son cœur et fait de moi une princesse. J’attends votre lettre avec impatience, je sens mon corps pétiller, mes gestes devenir maladroits tant j’ai hâte de voire défiler les jours jusqu’à notre prochaine rencontre, jusqu’à ce que nos lèvres trouvent de nouveau le chemin de notre évidence. Malgré mes peurs et mes doutes, je me montrerai digne de votre amour : vous le méritez. Je vous suis entièrement dévouée.
Votre flamme ardente (un sourire se dessine en écrivant ces mots alors que je repense à ce magnifique qualificatif que vous m’avez offert).
PS : j’ai remis la lettre en toute confiance et ne passerai que par votre homme de main.
***
Ma tendre fleur, ma flamme ardente,
Tes mots réparent mon âme et emplissent mon cœur d’un amour débordant. Suis-je digne d’un tel élan de loyauté et de fidélité ? Je peine encore à le croire mais tu m’as convaincu de te faire confiance, de croire en nous. Le courrier est parti à l’aube, certainement arrivera-t-il avant la lettre que je m’empresse de rédiger afin de te montrer mon impatience à te retrouver. Dix jours. Dix interminables journées au côté d’un mari indigne de ta grandeur d’âme et de ta bonté. J’aimerai déjà plonger mon regard dans tes grands yeux verts et me noyer dans les tréfonds de ton âme. Une certitude a éclos peu après notre séparation déchirante, et elle grandit chaque jour : nous sommes destinés l’un à l’autre, je suis tien comme tu es mienne. J’ose. Me le pardonneras-tu ? Je ne me reconnais plus. Je souhaite rejoindre Morphée chaque fois que je le peux pour te retrouver en songes, je mange peu, me nourrissant de tes mots et des souvenirs de cette soirée. Mes lectures se tordent et se déforment en langage sibyllin lorsque la beauté de tes traits s’impose avec force à mon esprit. Un feu d’artifice explose à l’évocation de ton prénom. Mon amour n’a d’égal que la grandeur de ton âme.
Ton dévoué Hardold.
***
Très cher Hardold,
Je chancèle. J’ai dû me faire porter souffrante tant l’émotion fut vive en recevant vos deux lettres simultanément. Comment ne pas défaillir ? Je me sentais si seule, si insignifiante et vous m’avez donné de la valeur, de la couleur au moment où je sombrais dans des abysses de solitude et de douleur. Je ne pourrai jamais assez vous témoigner ma reconnaissance. Mon mari rentrant de voyage, je lui ai soumis cette invitation à déjeuner. Avec la fatigue, il a souhaité se débarrasser de cette formalité et j’ai obtenu une après-midi de bienfaisance à vos côtés ! Je souhaiterais vous faire découvrir un petit temple. Il est mon jardin secret dans les moments de doutes et de souffrance. Je désire le partager avec vous pour vous prouver l’absolu confiance que je place en vous. Les sakuras seront en pleine floraison. Un signe du destin ? J’hésite. Ma main s’arrache à la page alors que mon esprit tergiverse à vous faire part de l’élan qui me traverse… Je suis fébrile… Peut-être… Peut-être pourriez-vous faire de moi une femme comblée, une femme désirée et désirable, pour laquelle les plaisirs charnels n’auraient plus de secret. Je rougis et espère de tout cœur ne pas vous offusquer à l’évocation de nos corps enlacés. Je ne me reconnais pas moi-même mais j’ose envisager… que mes espoirs et mes désirs sont partagés.
Votre flamme hypnotisée
***
Ma tendre fleur,
Mon cœur se serre à penser au mal que je vais bientôt susciter chez votre aimable personne. Je viens de recevoir une invitation qui ne peut se refuser. Destin cruel, ce cocktail a lieu le jour où nous devions nous retrouver. J’ai mal d’écrire ces mots, véritable torture d’une séparation prolongée. Je vous promets de faire au plus vite pour nous offrir une occasion de vous serrer dans mes bras. Je suis mortifié. Les mots me manquent et la tristesse me submerge.
Votre dévoué Harold.
***
Harold ajouta la touche finale à sa tenue : un mouchoir de soie offert par sa tendre fleur afin de penser à elle lors de cette soirée. Un sourire se dessina sur son visage alors que ses doigts glissaient le tissu dans la poche de son veston. Un coup de klaxon. Il était l’heure, tous les invités devaient converger vers la propriété. Harold savait combien ces évènements étaient difficiles à organiser. Des années de patience, un travail acharné et précis, presque chirurgical. Mais le résultat valait tous les efforts fournis. Dommage que cette soirée ne survienne le jour où il aurait dû retrouver Suzanne. Elle lui était plus acquise qu’il ne l’aurait cru. Il se serait fait un plaisir de l’initier : après tout c’était elle qui en avait fait ouvertement la demande… Ce n’était que partie remise.
Aucune hésitation dans son esprit. Il serait de la partie ce soir. Un tel dîner ne se refusait pas, d’autant que son joyau serait présent. Il avait fallu une quête et un travail des plus rigoureux pour obtenir ce bijou, à la hauteur du précédent. Ses poings se crispèrent et un masque sombre recouvrit ses traits en pensant aux ratés qui avaient précédé la disparition de son joyau, une quinzaine d’années plus tôt. Jamais il n’avait retrouvé un tel éclat bleuté depuis. Celui de ce soir devait lui offrir tout ce qu’il désirait depuis plus de quinze ans.
Des éclairs zébrèrent ses iris foncées. Si seulement l’autre n’avait pas disparu !
Arrivée devant un porche étroit, encadré de hautes murailles, la voiture d’Harold s’immobilisa. Le passager descendit et se dirigea d’un pas assuré sur l’allée bordée de jardins japonais des plus raffinés, la mélodie d’une cascade flottait agréablement dans l’atmosphère. Harold n’y prêta aucune attention, ses pensées toutes dirigées vers le repas qui l’attendait.
Dans le hall, il croisa quelques habitués, échangeât une ou deux politesses. La tension et l’excitation étaient palpables. Les invités furent guidés vers les sous-sols, dans une immense pièce cosy, aux recoins baignés d’une lumière feutrée. Des effluves d’alcool et d’encens émoustillaient les sens. Harold s’installa dans un épais fauteuil de cuir, ses doigts pianotèrent aussitôt sur l’accoudoir. Un serviteur lui proposa un verre de whisky japonais qu’il déposa sur une table basse devant lui. Malgré la finesse du breuvage, seule une saveur fade se répandit sur son palais. L’impatience de ce repas tant attendu l’empêcha de savourer cette mise en bouche. Enfin, l’annonce fut donnée.
Le rythme cardiaque d’Harold s’accéléra. Les battants s’ouvrirent en grand et un groupe d’enfants encadrés de deux adultes pénètra dans la pièce. Quelques mots claquèrent dans l’air : « Que la fête commence ! »
Le regard des bambins changea et se fit d’un coup séducteur.
Harold l’aperçut aussitôt, ce jeune garçon d’à peine sept ans, aux yeux topaze. Promesse d’extase. Sa langue vint humidifier ses lèvres alors qu’il s’avançait vers la source de jouissance. Son entrejambe retranscrivait déjà la soif du désir qu’il s’impatientait à assouvir. Ce soir, serait une succession de délices dont il allait déguster chaque bouchée.
D’un signe de la main, il invita l’enfant à le rejoindre. Ce dernier s’avança avec lenteur. Harold en eut l’eau à la bouche. Il s’agenouilla et l’enfant effleura ses lèvres puis glissa sa langue contre la sienne. La pièce s’emplit de râles d’excitation où le désir flottait dans l’air comme un brouillard à l’aurore de plus en plus épais.
Trop longtemps ! L’attente avait été insoutenable mais cela avait largement valu le prix à payer et la quête acharnée menée par l’Oncle.
Il empoignât la main du garçon et la glissa dans son lieu sacré, refroidi depuis tant d’années par l’absence du pur désir. Le visage de Suzanne s’inscrivit brièvement sur sa rétine. Il avait tissé la toile pour y pelotonner sa proie et jubilait de la soumettre à sa lubricité, sous peu. D’un coup, ce fantasme perdit de sa couleur, simple cliché en noir et blanc terni par le temps, remplacé par la tignasse lumineuse du garçon.
— Viens Cyril.
— Je m’appelle…
— Cyril.
— …Bien.
Un sourire carnassier s’épanouit sur le visage rubicond d’Harold à l’instant où il sentit sa virilité, à l’étroit, provoquée de petits élancements douloureux. Malgré l’inconfort, il ne put s’empêcher de sourire. Enfin !
Incapable de contenir plus longtemps l’excitation qui gagnait chaque parcelle de son corps, il guida l’enfant à l’étage.
Alors qu’il accompagnait l’oisillon vers le nid douillet concocté par leur hôte, Harold repensa à son premier joyau : Cyril. L’Oncle avait affûté la lame de son expertise et sacrifié deux enfants pour parvenir à le fragmenter et le conditionner à la débauche.
Quel gâchis !
Inadmissible !
L’Oncle aurait dû le retenir, cette fuite était inacceptable !
Sa mâchoire se crispa et son regard devint froid. Harlod n’avait pu s’en prendre à l’Oncle. Trop risqué. Et puis ce dernier avait tenu ses promesses, lui devait tenir son engagement. Le diplomate avait failli envoyer un tueur à gages lors de l’incident, un travail net et sans bavure. Mais la promesse d’une nouvelle extase l’avait conquis. Il s’était évertué à la patience, pour devenir expert en la matière. Il le savait désormais : la satisfaction des sens n’en était que décuplée !
Le garçon ne devait pas non plus être sali par sa rage débordante. Il réfléchit un court instant et le visage de Suzanne s’afficha à nouveau : elle serait le parfait réceptacle de sa fureur.
Satisfait, il ouvrit la porte de la perversion et de tous les excès et y conduisit Cyril. Il n’eut pas besoin de mots, le simple geste d’ôter son pantalon provoquât un mimétisme immédiat chez l’enfant qui se retrouva rapidement nu. Il était à croquer ! Ensemble, sur le lit, il put enfin se laisser aller à la plus pure extase qu’il n’avait plus ressentie depuis le départ de Cyril, laissant une sensation de vide glacé dans son âme.
Au petit matin, il constata l’absence de l’enfant. Cela le renfrogna dans l’instant. Sans doute avait-il fallu rentrer la petite troupe en toute discrétion. Harold avait apprécié par anticipation le petit plaisir matinal qu’il aurait pu s’offrir. La frustration le gagna. Avant qu’elle ne déborde malgré lui, il préféra saluer son hôte et, une fois de retour dans sa demeure, s’enferma dans son bureau pour une lettre des plus enflammées. La nuit passée avait nourri son inspiration. Il remit l’enveloppe cachetée à son homme de main et se plongea dans le travail pour palier à l’attente. La témérité l’avait poussée à proposer un rendez-vous le soir-même dans le kaiseki ryori, prenant le pari que sa belle se libèrerait. Il était bien en peine de se remémorer si le mari était déjà de retour de son voyage d’affaires, mais peu importait. Suzanne était empêtrée dans sa toile, il ne doutait pas qu’elle viendrait.
Dix-neuf heures arriva prestement tant il était absorbé par l’organisation de la prochaine réception en l’honneur de l’hanami, qui fêtait la floraison des sakuras et le retour du printemps. Il prit grand soin de s’habiller avec goût, choisit une chemise bleu pâle, la couleur préférée de sa tendre fleur, puis ajouta un mouchoir de soie brodé d’un H doré à son veston, avant de prendre la route. Le chauffeur l’arrêta juste à l’entrée du restaurant où il eut la joie de voir Suzanne debout près de la devanture. Elle jetait des coups d’œil nerveux, le rouge aux joues. Il prit le temps de savourer cette vision avant de sortir pour lui attraper en douceur la main et l’effleurer d’un baiser.
— J’ai espéré de tout mon cœur pouvoir admirer ton visage ce soir. Je… Je ne sais comment te remercier d’avoir bousculer ton agenda pour moi, se pressa-t-il de lui dire d’un ton faussement doux.
Le rouge s’accentua sur les joues de la blonde, d’une vingtaine d’années sa cadette.
— Je… Je ne pouvais faire moins que vous ne proposiez. Je sais comme votre emploi du temps est surchargé. Vous ne pouvez imaginer la joie que m’a procuré la lecture de votre billet, après l’annulation d’hier. Je n’imagine que trop bien comment vous avez dû manœuvrer pour libérer ce créneau, et je vous en remercie infiniment.
Harold prit plaisir tout au long du dîner à offrir à cette femme l’image du gentleman idéal dont elle avait dû rêver dès ses plus tendres années. Qui n’avait jamais fantasmé du prince charmant ? Ce rôle était l’un de ceux qu’il endossait avec le plus d’aisance et de satisfaction. Voire la désillusion et la trahison dans l’œil de sa conquête n’en était que plus délectable !
— Puis-je vous offrir une tasse de thé Gyokuro ? Il est réputé comme l’un des meilleurs de tout le pays et je viens justement d’en recevoir un nouvel arrivage chez moi ce matin.
— J’en serai ravie !
— Ton mari…
— Est reparti pour deux jours à Kyoto.
— Alors je vais payer la note et nous partons.
— Mais je… C’est à moi de…
— Laisse-moi t’inviter, je t’en prie.
La voir s’empourprer ainsi contrastait à merveille avec la blancheur de sa peau. Dommage qu’elle n’est pas une trentaine d’années de moins, elle aurait été la perle dans l’écrin ! Les femmes d’âge mûr n’étaient pas son choix de prédilection mais il sentit le désir s’animer malgré lui.
Ils devisèrent de sujets mondains sur le trajet retour avant qu’il ne l’invite dans son petit salon où il commanda à son serviteur à leur servir le fameux thé, accompagné d’une mignardise à base de haricots rouges.
Le visage de Cyril s’afficha en grand. Pas maintenant !
Il se recentra et l’invita pour ne pas risquer de la laisser filer :
— Oserai-je vous offrir une réconciliation avec la sublimation d’une tendresse partagée ?
— Je…
Elle était adorable à ne plus savoir où se mettre. Il attrapa délicatement sa main et la guida à l’étage. La porte de la chambre refermée, ses lèvres se posèrent sur le front de Suzanne puis ses joues, et enfin son cou. Il prit le temps nécessaire à la sentir lâcher prise avant de la dénuder pour l’allonger sur son lit. La blonde se laissa guider avec naïveté et soumission. Alors, il approcha sa langue de la poitrine généreuse pour jouer avec les tétons qui se durcirent dans l’instant. Il constata avec jubilation comme l’excitation la possédait rapidement, et ce malgré des années d’insatisfaction. Il descendit vers son pubis. La belle fit une brève et timide tentative pour l’en empêcher avant de s’abandonner totalement. Elle était sienne désormais. Il s’abstint de la contenter pleinement, elle n’était pas là pour ça. Harold se dirigea vers son placard et en sortit une paire de menottes.
Il lut avec délice l’hésitation dans ses yeux.
— J’aimerais, si tu veux bien.
— Je… Non. Je suis désolée.
— Pourtant, tu m’as fait confiance jusque-là, as-tu été déçue ?
— Je… Non.
— Tu veux bien ?
— La prochaine fois, peut-être. Je… Je trouve ça étrange et je ne sais pas si je puis m’adonner à cette… pratique.
Suzanne se leva et attrapa sa culotte pour commencer à l’enfiler.
— Maintenant ! intima-t-il.
Elle hésita mais continua de remonter le sous-vêtement. Le corps d’Harold s’excita par anticipation.
— Sur le lit ! ordonna-t-il en l’attrapant par le bras pour la pousser sur le matelas.
— NON !
— Bien, alors je montrerai à ton cher mari les vidéos où tu en redemandes encore.
Le diplomate sortit son smartphone pour enclencher le film amateur du corps dénudé de Suzanne offert un instant plus tôt.
— Vous… Vous avez osé… filmer ça ?! s’insurgea-t-elle.
— Tu es tellement belle quand tu prends du plaisir, je voulais le garder en souvenir. Ne te trouves-tu pas magnifique ? Mais tu m’obliges à l’utiliser pour une mauvaise raison. Alors, s’il te plaît, maintenant, tu m’écoutes : tu t’allonges sur le lit et je te passe les menottes autour de tes mains pour les attacher au bord du lit, expliqua-t-il sur un ton sans appel.
Il lut la révolte dans ses yeux, puis la stupeur et, enfin, l’acceptation. Une fois Suzanne attachée, il se déshabilla devant elle puis vint s’installer à califourchon, son entrejambe durcie d’excitation placée juste devant la bouche de sa partenaire.
— Fais-moi plaisir, veux-tu.
De nouveau, l’hésitation.
— Ne peux-tu me retourner la faveur du cadeau que je t’ai offert juste avant ? Je t’ai donné du plaisir, je suis déçu de constater que tu ne souhaites aucunement partager.
— Je… ne sais pas… bégaya-t-elle.
— Moi, je sais. Tu es égoïste, voilà tout. Je me suis fourvoyé. Je… J’ai voulu croire à nos jeux sensuels partagés, j’ai eu tort. Je vais te détacher, lâcha-t-il contrit.
— Attendez… Vous avez raison, je… je dois bien être capable de le faire… pour vous.
— En es-tu sûre ?
— Oui, je veux me montrer digne de votre amour ! Vous m’avez offert ce que je n’ai jamais connu ! C’est juste que… je ne voyais pas… la chose ainsi. Mais si cela vous fait plaisir…
Finalement, la résignation. Une pulsion sexuelle le posséda, impérieuse. Elle devait lui faire relâcher la tension physique maintenant, avant qu’il ne soumette le corps à la peau de lait à la fureur qui bouillait depuis tant d’années. Depuis le départ de Cyril.
La nuit avait été longue, Harold se sentait épuisé, mais apaisé. Suzanne s’était recroquevillée dans un coin de la pièce, le regard vide. Il avait pris soin de ne laisser aucune marque irrémédiable, il aimait le travail bien fait. Si son jouet était cassé, comment pourrait-il s’amuser à nouveau ? Il lui répéta avant de la laisser partir :
— Ma tendre fleur, je suis navré. Je… Les derniers jours ont été particulièrement éprouvants. J’ai perdu le contrôle. Ça ne se reproduira plus. Je tiens tellement à toi !
Il la sentit trembler, quelques larmes roulées le long de son cou. Il déposa un baiser délicat sur chaque perle de tristesse.
— Comment me faire pardonner ? Comment te montrer ma sincérité ? Moi qui t’avais promis les plaisirs charnels, j’ai laissé mes plus bas instincts dicter ma conduite. Pourras-tu…
Il fit mourir sa voix sur ces mots, laissant quelques larmes de crocodile glisser sur ses joues.
— Vous… Vous regrettez ? souffla-t-elle en posant une main sur le masque de chagrin.
— Les mots ne sont pas assez forts pour exprimer ce que… ce qui me torture maintenant. Je… Ecoute…
— Oui.
Elle le prit dans ses bras.
— Je te propose un moment rien qu’à toi, pour ton plaisir, tout ce que tu désires.
— Je vous veux simplement pour moi mais… pas comme cette nuit…
Elle frissonna. L’excitation durcit le membre d’Harold, il mit cette sensation de côté. Faire illusion pour mieux la garder captive.
— Alors laisse-moi t’offrir le septième ciel.
— Je…
Il ne lui laissât pas le temps de terminer sa phrase qu’il déposa un baiser passionné sur ses lèvres. Il continua de l’embrasser jusqu’à ce qu’il sente les tensions quitter le corps de Suzanne, puis invita la langue de sa partenaire dans une danse de plus en plus sensuelle. Lorsqu’il la sentit relâchée, il la portât sur son lit, descendit à nouveau vers son pubis pour jouer avec son intimité. Cette fois, elle lâcha dans l’instant toute résistance et il lui offrit l’extase. Une pulsion l’envahit, étreindre la gorge blanche. Mais il se retint. Il continua à s’adonner de la contenter jusqu’à ce que l’orgasme la fasse gémir sans retenue. Puis il s’allongea contre elle en caressant ses cheveux.
— Ma tendre fleur, pour cette nuit, je te prie encore une fois de m’excuser. Ça ne se reproduira plus. J’espère que ce… cadeau t’a plu.
— Je…Je n’ai pas les… mots, articula-t-elle le souffle court.
Il regarda sa montre, avant de s’excuser :
— Je suis confus, j’ai bientôt mon rendez-vous d’affaires.
— Oh, bien sûr ! Je… Je vais m’en aller.
Avant qu’elle ne se lève, il la pressa contre lui, déposant un bouquet de baisers dans son cou.
— Hum… Tu te rappelles, tu as été agressée en sortant de chez toi pour aller prendre l’air au temple près de ta propriété. D’où les marques à ton cou et les bleus dans ton dos.
— Je…
— Tu peux faire cela pour moi ? Pour nous ? la supplia-t-il de son ton le plus mielleux. Si ton mari l’apprend, je…
— Oui, évidemment ! Tu as raison.
— J’aime quand tu me vouvoies.
— Je…
— Enfin, si tu n’y vois pas d’inconvénient, bien entendu.
— Non, ça a quelque chose… d’excitant, concéda-t-elle.
Il attrapa la culotte de dentelle pour la faire glisser le long de ses cuisses. Avant de passer au pantalon, il prit soin de plaquer ses mains contre l’entrejambe de Suzanne et joua un instant avec ses doigts sur l’antre sacrée. Elle gémit. Nouveau coup d’œil à la montre.
— J’ai tellement envie de t’offrir un autre moment, mais…
— Je ne voudrais pas être la raison de votre retard.
— Une fort bonne raison pourtant…
— Vous m’en verriez extrêmement contrariée. Vous devez être à l’heure et je me dois de rentrer.
Cette fois, il la laissa se rhabiller tandis qu’il consultait ses mails sur son téléphone. Lorsqu’elle se dirigea vers la porte, il l’apostropha :
— Ma belle fleur, je t’envoie une lettre dans quelques jours, je suis assez pris cette semaine. Je compte sur toi, ma flamme.
Il déposa une bise sur sa main puis la tendit dans sa direction en soufflant dessus. Elle rougit avant de quitter la pièce. Évidemment, cela ne valait pas les soirées organisées par le réseau de l’Oncle, mais il était satisfait de son nouveau jouet. Un sourire de contentement se peignit sur son visage, il avait hâte de tester ses prochains jeux sur elle. Comme il se délectait de souffler le chaud et le froid pour semer la confusion dans l’esprit de sa proie, laisser libre court à quelques pulsions avant de tisser de nouveau la toile.
Il allait falloir attendre. Pour attiser le manque. Pour enflammer le désir.
Son humeur s’assombrit. Il avait déjà envie de sentir un corps chaud entre ses mains. Il avait besoin de sexe.
Il pensa à Yoko sans ressentir aucun effet. Puis à Ayaka. Elle ne lui était pas encore acquise et il n’avait nullement l’envie ni l’énergie de la prendre dans ses filets. Pour le moment. Sa frustration grandissait.
Une bonne douche lui éclaircirait les idées. Sous le jet tiède, il repensa à Cyril. Après tout, pourquoi courir après une femme alors qu’il avait de nouveau son joyau ? Son entrejambe réagissait déjà pour lui. Malgré son âge, il approchait les soixante-dix ans, son corps était encore très vigoureux. Cela en avait surpris plus d’une.
Son choix était fait.
Il s’essuya, enfila son costume pour le rendez-vous qui n’allait plus tarder et envoya un message à l’Oncle. La réponse ne tarda pas. Soulagement. Son joyau était disponible. C’était rarement le cas, les blonds aux yeux bleus ne couraient pas les rues, la liste d’attente était souvent trop longue. Il s’obstinait malgré tout, les seuls à le faire grimper si haut dans l’exaltation. Il n’avait aucune idée de la façon dont s’y prenait l’Oncle pour amener un petit occidental dans leurs contrées. Et il s’en fichait. Cyril était là, et l’attendait. Ou était-ce lui qui attendait ?
Harold se recentra sur le présent et appela son chauffeur, il allait arriver en retard à son rendez-vous. Il ne pouvait se le permettre. Il écouta son interlocuteur d’une oreille distraite, ses pensées flottant alternativement sur la façon dont il occuperait sa prochaine soirée avec Suzanne, et l’Oncle qui l’attendait sous peu.
Il ressentit l’envie d’écourter l’entrevue. Étrangement, l’âge le rendait de moins en moins patient. La politesse nippone l’obligea à garder son masque de convenance sociale jusqu’à l’issue de l’entretien, qui lui permit d’envisager un accord commercial avec l’Allemagne pour le mois suivant. Il n’avait au moins pas perdu son temps.
Enfin libéré alors que le ciel se parait de ses couleurs crépusculaires, Harold se dirigea directement au lieu de rendez-vous. Qu’elle ne fut pas sa surprise de voir deux garçonnets l’attendre en habits de cérémonie. Son joyau et un rouquin. Après tout, pourquoi pas ?
Il paya son fournisseur, consentit à une brève discussion de bienséance puis fit monter les enfants dans la voiture pour se rendre directement chez lui. Il les ramènerait le lendemain en fin de matinée au même endroit. Harold accompagnait toujours ses protégés, il voulait s’assurer par lui-même du retour de la marchandise. Rien ne serait pire qu’une mise à jour de ce petit arrangement.
Aujourd’hui, il n’avait aucune envie de se montrer patient. À l’accoutumée, il s’autorisait un arrêt chez un glacier ou une boulangerie française, histoire de faire plaisir aux enfants. Il préféra rentrer directement, sans se donner la peine d’engager la conversation. De toute façon, ils oublieraient tout dès le lendemain, ils avaient été fragmentés dans ce but. Le prix de la transaction se voyait majoré mais cela assurait la discrétion nécessaire à ce commerce. Si l’enfant ne se souvenait plus des évènements, que pouvait-il raconter ?
Il avait assisté une ou deux fois à une séance en vue de briser l’esprit d’un gamin. Un travail d’orfèvre ! Minutieux et rigoureux, rien n’était laissé au hasard. Il n’y avait pas de garantie qu’apparaisse le Trouble Dissociatif de l’Identité, mais les chances de réussite étaient élevées grâce aux techniques affûtées au fil des années.
Le trajet fut d’un silence de mort tandis que le diplomate se perdait dans ses souvenirs, évitant avec soin l’évocation du premier Cyril. Il n’avait nullement envie de ternir la soirée qui l’attendait. Les enfants s’absorbaient dans la contemplation de l’animation tokyoïte, profitant de cette occasion de sortie pour admirer la vie dans ce qu’elle avait de plus ennuyeux. Une normalité bien loin de leur réalité.
Soudain, la voiture stoppa. Le chauffeur poussa un juron.
— Que se passe-t-il ? demanda Harold, agacé.
— Un pneu crevé, Monsieur. Je m’en occupe tout de suite.
— Je rentre avec les enfants !
— Bien, monsieur.
Harold ouvrit la portière, sortit et invita les enfants à faire de même. D’abord le rouquin, puis son joyau. Un homme occidental, blond et grand se rua subitement sur le diplomate. Heureusement, un instant avant l’impact, le garde du corps d’Harold s’interposa. Une clé de bras et un bruit mat. Un couteau tomba au sol. Le diplomate n’eut pas le temps de mettre de l’ordre dans ce que ses yeux observaient qu’une douleur fulgurante le transperçât. Ses mains se portèrent automatiquement à sa poitrine puis son regard se posa sur le couteau planté dans son torse, et le rouge qui maculait sa chemise. Vite, trop vite. Son corps flancha. Harold s’effondra sur le bitume, le corps enragé du plus âgé des enfants au-dessus de lui, un masque de prédateur sur le visage. Un reflet. Son reflet ?
Harold vit, entendit, mais ne pensa plus. Un coup de feu. Un hurlement aigu. Puis le rouquin bondit sur l’homme de main. Deux bruits sourds. Le garde du corps, les mains à la gorge d’où s’échappait une fontaine de sang. Un corps d’enfant, un trou dans la tête. Le rouquin.
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